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  • Photo du rédacteurVirginie Le Floch

Entretien avec Jean Louis Tripp à l’occasion de la sortie du deuxième tome d’« Extases »

De passage à Paris à l’occasion de la parution du tome 2 d’« Extases », son roman graphique autobiographique, Jean Louis Tripp m’a accordée une interview décomplexée. L’occasion de revenir sur la genèse de ce projet qui en a surpris beaucoup et d’expliquer la dimension politique et sociétale de ce sujet encore tabou.

Pourquoi avoir décidé de vous lancer dans l'écriture d'un roman autobiographique ?



Comme je l’expliquais lors de la sortie du premier tome d’« Extases », c’est mon ami Régis Loisel qui m’a persuadé de me lancer ce projet. Ce dernier est un confident de longue date et il était convaincu que mon histoire pouvait faire écho à celles de nombreux lecteurs. Après l’aventure « Magasin Général », j’étais en quête d’inspiration et l’idée a commencé à faire son chemin. En effet, j’adore les autobiographies, c’est un de mes genres préférés. Elles ont plus de poids et poussent davantage le lecteur à se livrer à un travail d’introspection afin de savoir comment il aurait réagi face à une telle situation. De plus, le sujet est éminemment politique. Comment être soi-même si on ne peut pas assouvir les besoins primaires réclamés par notre corps par souci de la bienséance ? Pour moi, le plaisir sexuel est le miel que nous a donné la nature. Parvenir à l’assumer est parfois compliqué dans nos sociétés contemporaines alors que cela n’a pas toujours été le cas. A l’époque de l’Antiquité, le sexe et le plaisir n’avaient rien de tabou. Les archéologues ont mis à jour des vibromasseurs dans les tombes de la vallée des Rois et les préservatifs ont été inventés à l’Antiquité. La jouissance était alors au centre de toutes les préoccupations et dénuée de tous jugements de valeur. Je ne souhaite pas avoir une démarche didactique, mais je souhaite simplement que les personnes qui le souhaitent puissent vivre leur sexualité et leur plaisir comme ils l’entendent.

La franchise dont vous faites preuve dans « Extases » a-t-elle été dure à assumer ?

C’est une question qui revient très régulièrement : comment avez-vous fait ? Je n’aurais jamais osé, etc. Eugène Enriquez, un pédopsychiatre qui a travaillé sur le concept de résilience a démontré que la honte est la seule émotion qui nous vient de l’extérieur. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les enfants qui n’ont aucune gêne à déambuler nu dans la maison. Ce sont les parents qui en les invectivant et en leur demandant de se couvrir, insinuent le concept de honte. Pour moi « Extases » est comparable à un coming-out : je m’autorisais enfin à m’accepter pleinement. En dépit de ce que beaucoup peuvent penser, ça a été pour moi le livre le plus simple à faire de toute ma carrière. Tout le monde a des fantasmes : la domination, la soumission, le sexe à plusieurs… Je suis un épicurien, j’aime le côté ludique de la vie. Accepter ses pulsions et ses envies est pour moi la clé de l’épanouissement. Être en accord avec soi-même est indispensable pour profiter au mieux des plaisirs que nous offrent la vie.

La solitude est-elle votre plus grande peur ?

C'est certainement ma faiblesse. J’ai un goût certain pour ce que j’appelle le tissage de l’intimité, tous ces petits moments qui forgent un couple. Ces petites habitudes qui s’insinuent au jour le jour dans le quotidien, comme le petit café du matin ou les soirées télé lovés l’un contre l’autre dans un canapé. La sexualité en est un des fondements principaux. En ce qui me concerne, c’est vraiment le ciment du couple. Pour moi, il est primordial de ne pas s’ennuyer et de laisser libre-court à ses envies. C’est différent pour chaque personne mais pour moi, la vie est comme un jeu. J’ai la chance de faire un métier que j’aime et dans lequel je m’amuse. J’ai construit une vie proche de ce que j’espérais quand j’étais plus jeune et j’en suis très heureux. Il est primordial de jouir de tous les moments offerts par l’existence, dans la sphère professionnelle comme dans la sphère privée. Quand on est seul, la satisfaction n’est pas la même.

Que ce serait-il passé si vous n'aviez pas été père ?

Par définition je ne peux que l’imaginer car mon fils est arrivé. La naissance de mon premier fils a été un moment particulièrement explosif car je ne m'y attendais pas du tout. Ça m'a fait beaucoup réfléchir et c’est à cette époque que j’ai commencé une thérapie. Cela fait ainsi plus de 25 ans que je travaille sur moi. Il est évident que s’il n’était pas né, je n’aurais jamais entamé ce travail véritablement salvateur. La naissance de mon deuxième enfant a été complètement différente. La maman avait décidé d’être mère et j’ai fait ce qu’il fallait pour cela. Il a fallu accepter ce deuxième enfant et je suis content aujourd’hui qu’il soit là. Cela a contribué à faire de moi l’homme que je suis aujourd’hui.

Peut-on dire qu’ « Extases » est féministe ?

Je vais prendre beaucoup de précautions avant de répondre. Je ne peux en aucun me mettre à la place d'une femme, néanmoins mon empathie et mon soutien vont à 1 000 % en faveur des causes qui demandent aujourd'hui l'égalité entre hommes et femmes. Je reste à ma place mais force est de constater que les hommes d'aujourd’hui ont un gros travail à faire pour conscientiser la société patriarcale dans laquelle nous sommes. En effet les hommes ont des avantages dont ils ne sont même pas conscients et dont on profite tous les jours sans même s'en rendre compte. Il faudrait que certains acceptent de lâcher un petit peu leur pouvoir et essaient d’avoir une vision plus large. On peut faire un parallèle avec les anciens pays colonisateurs sur les pays d'Afrique… Tous les grands mouvements d'émancipation sont passés par la réappropriation des corps : l'esclavage a pris fin quand les esclaves ont voulu retrouver leur liberté. Lors des luttes sociales au temps du Front Populaire, les travailleurs ont souhaité des congés payés et être rétribué à hauteur du travail effectué à longueur de journée. Le droit à la contraception, à l’avortement le mouvement me too s’inscrivent exactement dans le même principe. C’est ce que j’ai souhaité exprimer dans « Extases », la volonté de se réapproprier son corps et d’en disposer comme on veut.

Avez-vous un message à délivrer aux « bonobos » la tribu dont vous vous réclamez ?

Les bonobos ont plus de 99 % de leur ADN en commun avec celui de l'homme. Néanmoins, alors que les bonobos vivent dans un système hédoniste, les hommes vivent dans un système agoniste. C’est-à-dire que face à un conflit, les humains se posent pour essayer de trouver une solution et arrivent au final à une alternative qui satisfait à peu près tout le monde. Les bonobos au contraire, résolvent leurs problèmes par le jeu ou par le sexe. On devrait s’en inspirer… Dans un club échangiste, il y a du monde mais on se sent beaucoup plus en sécurité qu’à l’extérieur. Personne n’est contraint et des règles strictes existent et sont connues de tous les pratiquants. Ceux que j’appelle les bonobos dans mon roman jouissent du moment présent tout en gardant continuellement en tête l’idée du consentement. A partir du moment où il a des règles festives et que l’on se respecte les uns et les autres, il n’y a plus de tabous qui tiennent.

Le tome deux d’ « Extases – Les montagnes russes » de Jean Louis Tripp est disponible aux éditions Casterman

Interview réalisée le jeudi 12 mars 2020

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